À mon mari,
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"Douce Frrrraaaanceuh..." ainsi chantait Charles Trenet, et moi aussi aujourd'hui, mais sans continuer "cher pays de mon enfance..." car le pays de mon enfance est à des milliers de kilomètre, une île au milieu de l'océan.
Quand j'entends ce refrain, je n'ai pas dans la tête forcément le "clocher" et les "maisons sages" mais des films en noir et blanc des années 50-60, des vieilles voitures françaises (qui roulent encore tant bien que mal dans mon pays...) ; des beaux paysages, des images de campagne ensoleillée, des routes départementales avec des champs de part et d'autre et des meules de foin, des vaches au loin dans un pré, des marchés sur la place d'un village médiéval, des châteaux au détour d'une route ou d'une colline...
Cette France là, bucolique, est ma France d'aujourd'hui : ma France au quotidien n'est pas Paris, ni la Tour Eiffel, ni les grands magasins, ma France est rurale, presque un coin perdu, inconnu, méconnu. Un coin qui m'a charmée mais dont j'ai mis longtemps avant de me rendre compte que je l'aimais.
La route vers l'équilibre est souvent longue, parfois sinueuse et semée d'embûches...
C'est le destin mais c'est également un choix : j'ai choisi de vivre en France et la France aujourd'hui m'accueille. Par le mariage, je suis devenue citoyenne française, naturalisée à bientôt 42 ans. Mes enfants aussi, "mineurs et résidant" avec moi "de façon habituelle", par "Effet collectif".
Arrivée au terme d'un parcours (administratif) du combattant, voici ce que j'ai écrit il y a un peu plus d'un an :
Exorciser la peur au ventre. Depuis, de l'eau a coulé sous les ponts et je suis désormais apaisée. La "recette" tient en 3 ingrédients : accepter, assumer, apprécier. Il était temps ! Il est temps de choisir enfin son port d'attache, de fixer enfin le point de départ de chaque voyage et le portail qu'on pousse au retour.
Est-ce que je me sens française ? Ce n'est pas la bonne question à poser. J'ai mis les pieds en France la première fois à 19 ans, j'y suis venue d'innombrables fois sans jamais y résider. J'avais appris à connaître la langue, la culture, la gastronomie, la littérature française. Maintenant, c'est toujours tout cela mais j'y ai ajouté la politique, les médias... et la vie de tous les jours !
J'ai appris à aimer la France. J'aime la France. Voilà ma réponse. Mais j'ai d'abord appris à faire la paix dans mon esprit et dans mon histoire. Quand on grandit dans un environnement francophone mais qu'on atterrit à la fin de l'adolescence, à un âge où on ne connaît pas encore bien son pays, dans la culture germanique, qu'on mène ses premiers combats et qu'on acquiert l'autonomie au pays de Richard von Weizsäcker et d'Helmut Kohl... il y a de quoi vivre une petite crise identitaire à 26 ans ! J'imaginais la solution dans le retour à Madagascar... Je referme d'abord cette parenthèse.
Il y a mon histoire mais aussi l'Histoire. La relation éternelle, houleuse, d'amour-haine entre mon pays et la France. Cette Histoire-là rend tout sauf anodine l'acquisition de la nationalité française par un malgache. Si ces années de crise politique à Madagascar rendent fertiles le terrain des amalgames et le bassin des rancœurs, mon esprit est depuis longtemps tranquille.
C'était une question réglée il y a un an déjà avec une autre fonctionnaire de la préfecture, mais l'employée en face de moi hier me l'a reposée : "Souhaitez-vous garder votre nationalité d'origine ?" sur le même ton solennel qu'un maire demande à des futurs époux "Voulez-vous prendre pour..." - "Oui je le veux ! oui bien sûr !". C'est terrible d'ailleurs comme question. Je me mets 3 secondes à la place de celles et ceux dont le pays d'origine (ou le pays d'accueil) ne permet pas d'avoir une double nationalité ; et je me dis que cette liberté de choix doit être reconnue comme un droit fondamental, oui inscrite aux Droits de l'homme. Comment peut-on demander à une personne de renoncer à sa nationalité d'origine si elle ne le souhaite pas ?!
Pour mes enfants, c'est une autre histoire. Pour des enfants de l'immigration (pour moi aussi mais pour eux surtout), on parle d'intégration. Mais là encore, la question - ou plutôt le problème - ne se pose pas. Nous avons deux enfants "modèles" à la maison. Reconnus pour d'excellents résultats scolaires, mais aussi - et c'est aussi important sinon plus - pour leur altruisme et leur conduite exemplaire envers les camarades de classe et les professeurs. Ils aiment leur vie en France, ils aiment la France en continuant d'avoir dans un coin de leur cœur un espace et un amour intacts pour le pays de leur petite enfance, Madagascar. Alors l'accent du sud-ouest de la France, bien chantant, qu'ils savent prendre (parfois c'est fait exprès, puis gommé, parfois c'est à leur insu bien marqué), c'est juste un bonus. Ils sont contents d'être "franco-malgaches" comme ils disent.
Sur nos attestations d'acquisition de la nationalité française, c'est Manuel Valls - à l'époque de ma déclaration de nationalité encore Ministre de l'Intérieur - qui a signé. J'y vois un clin d’œil qui me fait énormément plaisir : l'actuel Premier Ministre a aussi été naturalisé français, à l'âge de 20 ans.
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